Interview - Le monde - 27/07/2000

Paulo Coelho, prophète New Age

IL est l’un des auteurs les plus vendus dans le monde, diffusé dans 120 pays et traduit en 45 langues. Et sans doute l’un des plus riches. Sa recette ? Une sorte de mystique qui prétend permettre au lecteur de découvrir et d’affirmer sa « légende personnelle ».

 

Dans la soirée du 21 mai, les abords de l’Opéra de Téhéran sont noirs de monde. Trois mille personnes ont trouvé place à l’intérieur du bâtiment tandis que des milliers d’autres, dix peut-être, sont groupées à l’extérieur, pressées contre les portes, guettant le moindre écho en provenance du saint des saints. L’individu qui tient ainsi l’assemblée sous son charme n’est pas une pop star ou une diva, mais un orateur imprégné de religion - ce qui n’a rien pour surprendre dans une capitale où l’intégrisme islamique a semblé trouver longtemps sa plus sûre forteresse. L’homme en question, reçu très officiellement par le ministère de la culture iranien, ne prêche cependant pas l’islam, ni d’ailleurs aucune religion clairement identifiée. Bien qu’il se dise catholique et ne se déplace jamais sans un bidon d’eau de Lourdes, dont il absorbe pieusement trois gouttes chaque jour, le Brésilien Paulo Coelho est surtout l’apôtre d’une liturgie personnelle et particulièrement rentable. La force de séduct! ! ion de sa prose lui permet de se faufiler, mieux que n’importe quelle religion, sous les frontières les plus étroitement gardées, jusque dans l’esprit des peuples les plus éloignés de sa culture d’origine.

Une sorte de mondialisation à l’échelle de la littérature, en somme. Diffusés dans 120 pays, traduits en 45 langues, ses livres font de Paulo Coelho l’un des auteurs les plus vendus au monde. Et l’un des plus riches, sans doute, bien qu’il ne fasse pas étalage de sa fortune. Anne Carrière, son éditrice française, affirme même qu’elle est obligée de le sermonner pour qu’il accepte de porter des vêtements corrects. Le magazine Lire de mars 1999 l’avait même classé en deuxième position pour l’année 1998, grâce à un recoupement des listes de meilleures ventes publiées par la presse du monde entier. Dans le grand désert spirituel de la fin du XXe siècle, Paulo Coelho est arrivé à point nommé pour se faire l’officiant d’un cérémonial simple et très efficace, qui prétend rendre à l’homme les clefs de sa propre existence. Lui permettre de découvrir et d’affirmer sa « légende personnelle », autrement dit le destin pour lequel il est créé, mais que les puissances du! ! « conformisme » l’ont empêché d’atteindre jusque-là. L’auteur de L’Alchimiste, le roman qui fit son succès et où se trouve déjà l’essentiel de sa philosophie, paraît s’être appuyé sur un principe redoutablement fructueux : le plus important n’est pas tant le style, ni même l’auteur, que les conseils fournis pour affronter le monde et ses vicissitudes.

A demi couché sur un canapé, dans l’Hôtel des Rois-Catholiques de Saint-Jacques-de-Compostelle, Paulo Coelho ne veut pas entendre parler de ce genre d’interprétation. Un prophète, lui ? Jamais de la vie ! L’homme est vif, chaleureux, sympathique. Rien du gourou classique, pas la moindre trace d’illumination visible chez ce quinquagénaire grisonnant, né à Rio de Janeiro le 24 août 1947 - à 0 h 05, comme le précise obligeamment son site Internet, sans doute pour les amateurs d’astrologie. Et passé, avant de devenir célèbre, par toutes sortes d’expériences dont il conserve des souvenirs mitigés. Né dans une famille de la bourgeoisie, il se montre vite renfermé, solitaire. Au point que ses parents le feront interner trois fois de suite, expérience dont il parle ouvertement dans Véronika décide de mourir (le dernier livre paru, déjà vendu à plus de 1,5 million d’exemplaires et dont l’impact a contribué à modifier la loi brésilienne sur l’internement arbitraire). Succ! ! essivement voyou, rebelle, hippy, drogué, membre d’une secte satanique, parolier de plusieurs chanteurs de rock (activité qui lui valut, dit-il, d’être emprisonné par la dictature brésilienne de l’époque), directeur d’une maison de disques puis chômeur, Paulo Coelho ferait le bonheur d’un biographe en quête de sensationnel.

S’il ne renie rien du passé, il se méfie cependant de l’avenir. Et des qualificatifs que le biographe pourrait bien lui appliquer. D’où sa réaction lorsqu’on lui demande s’il ne cherche pas tout de même un peu à guider ses contemporains. « Je ne veux pas enseigner quoi que ce soit à mes lecteurs, et je ne crois pas qu’ils veuillent apprendre. Ce qu’ils souhaitent seulement, c’est se former leur propre quintessence. » Parce qu’il s’est vu souvent taxé de mercantilisme spirituel, Paulo Coelho se défend avec la dernière énergie d’être le propagateur d’une mystique New Age - même quand son vocabulaire le trahit. Pas plus qu’il ne se reconnaît la moindre parenté avec les auteurs d’ouvrages destinés à retrouver la confiance en soi et autres promesses de réconfort, rangés par les Anglo-Saxons sous l’étiquette « self help ». Lui se veut écrivain, auteur d’une oeuvre qu’il « adore » et rien d’autre. D’ailleurs, il ne manque pas une occasion de citer ceux de ses confrères qu’il admire, Henry Miller, Camus ou Borges, par exemple. Ni de lâcher, lorsqu’il évoque son travail, des phrases commençant par « Comme tous les écrivains… ». Et s’il se vante de n’avoir jamais terminé Ulysse, c’est pour mieux se gausser de la « supercherie » montée autour du livre de James Joyce, ce monument de « langage à la puissance dix » qu’il s’est longtemps cru seul à ne pas avoir lu.

Ses livres, cependant, ne proposent pas une fiction tout à fait ordinaire. Même lorsqu’ils sont bâtis autour d’une histoire et de personnages, comme c’est le cas pour L’Alchimiste ou La Cinquième Montagne (qui retrace la vie du prophète Elie), les ouvrages de Coelho distillent des préceptes, des symboles et un parcours initiatique à la portée de toutes les bourses. Un personnage central susurre des recommandations qui en guideront un autre sur les chemins escarpés de la vie. « Apprends à respecter et à suivre les signes », dit ainsi le « vieux roi » de L’Alchimiste. Ou encore, dans Sur les bords de la rivière Piedra je me suis assise et j’ai pleuré : « Prêtons attention à ce que nous dit l’enfant qui vit encore dans notre coeur. » Le coeur, cet organe tombé en désuétude, retrouve grâce à lui une nouvelle jeunesse (au détriment de la raison, souvent présentée comme un appendice un peu surestimé). Paulo Coelho, qui dit ! ! avoir accompli son propre « rite de passage » sur le chemin de Compostelle, admet que ses livres « peuvent servir de catalyseurs pour des choses que les gens savent et qu’ils ont oubliées ». Mais qu’il veuille s’arroger un pouvoir sur ses lecteurs, ça, non. « Personne n’a le pouvoir, dit-il. J’ai vécu suffisamment de hauts et de bas pour le savoir. Mais chacun a des possibilités, oui. »

Tout le monde est important, nécessaire, primordial. En utilisant lesdites « possibilités », n’importe lequel des lecteurs de Paulo Coelho peut accéder à la confrérie des initiés, comme le fait le narrateur du Pèlerin de Compostelle. Et devenir, peut-être, l’un de ces « guerriers de la lumière » à l’usage desquels l’auteur a rédigé un Manuel bourré de maximes du genre : « Le guerrier de la lumière fait toujours des gestes hors du commun » ou « Le guerrier de la lumière ne craint pas de paraître fou ». L’essentiel est de répondre aux attentes du lecteur. Très loin du travail solitaire des écrivains qu’il admire, Paulo Coelho a inventé le concept d’auteur-éponge, à l’affût de ses lecteurs. « J’ai participé un jour à un débat avec lui, au Salon du livre de Paris, explique un romancier. Il a commencé à parler littérature, puis il s’est aperçu que son auditoire voulait autre chose, et il a immédiatement changé de cap,! ! se rapprochant plus de l’image prophétique que beaucoup de gens ont de lui. »

Les femmes, qui composent l’essentiel du lectorat de Paulo Coelho (et celui des romans en général), tiendront vite un rôle primordial dans ses livres, dont l’intrigue ne se situe jamais au Brésil. Mû sans doute par un désir de toucher le plus grand nombre, Paulo Coelho se garde bien de prêcher pour une seule paroisse. Il est catholique, certes, mais Grand Dieu !, surtout pas de façon blessante : « Je crois en Jésus-Christ, fils de Dieu, mais je ne crois pas que ma religion soit meilleure que les autres », déclare-t-il. Sur fond d’Ave Maria façon « planante », la page « Méditations » de son site Internet comprend donc des représentations de Jésus, de la Vierge, de Nossa Senhora Aparecida (la patronne du Brésil), de sainte Bernadette, d’un mandala, d’une prière hébraïque et d’un mystérieux Kuran Surah. « Cher internaute, proclame le texte d’accueil, si la destinée t’a conduit sur cette île, arrête-toi et regarde - une minute, en silence - l’une des image! ! s de ton choix. »

Le Web est, du reste, la seconde patrie de Paulo Coelho, qui voue un culte enthousiaste aux ressources d’Internet. Ses textes, dit-il, sont de proches parents du langage utilisé par les internautes. Ecrits dans un « style direct », guidé par « l’intuition » de l’auteur, les romans de Paulo Coelho se veulent aussi, d’une certaine manière, interactifs. « Comme tous les écrivains, j’ai peur de ne pas être compris », explique le romancier, qui dit écrire ses livres en quinze jours, un mois grand maximum, et toujours dans un état de fatigue avancé. « Alors, mes premières versions sont trois fois plus longues que le livre final. Puis je coupe, je coupe, pour laisser de l’espace à l’imagination du lecteur. » L’un des éditeurs iraniens de l’oeuvre de Coelho l’a si bien compris qu’il n’a pas hésité à rajouter cent pages à L’Alchimiste, pour en étoffer un peu les tournures particulièrement peu descriptives. « Le milieu académique rejette c! ! ela, affirme l’auteur, car leur langage est structuré sur un système baroque. Mais ce que j’écris représente l’avant-garde et sera admis un jour. »

En attendant, Paulo Coelho n’est toujours pas reconnu par « l’académie ». Pas même dans son pays, où les intellectuels voient en lui « un phénomène sociologique, beaucoup plus que littéraire », explique Godofredo de Oliveira Neto, professeur de littérature à l’université de Rio et auteur de quatre romans. Le romancier continue donc d’écrire, dans son grand appartement blanc de Copacabana, de jouer au flipper à ses heures perdues et de donner une partie de son argent à la fondation pour l’enfance qui porte son nom. Sans jamais cesser de se faire l’inlassable VRP de son oeuvre et l’ami virtuel de M. Tout-le-Monde.
Raphaëlle Rérolle

Un miracle de stratégie éditoriale

Mis à jour le jeudi 27 juillet 2000

L’aventure éditoriale de L’Alchimiste, l’oeuvre qui propulsa Paulo Coelho sur le chemin de la richesse et de la célébrité, n’a pas dû manquer de faire grincer quelques dents - rétrospectivement, bien sûr. L’auteur de ce drôle de roman passablement ésotérique s’était présenté dans plusieurs maisons d’édition avec son manuscrit sous le bras. Comme il arrive souvent aux écrivains inconnus, la plupart des éditeurs n’avaient pas eu l’air emballés. L’affaire menaçait de tourner court lorsqu’une toute petite maison de Rio, dirigée par Ernesto Mandarino, accepta finalement le livre, en 1987. Las ! N’en ayant pratiquement pas vendu au bout de quelques mois, ledit éditeur rendit son livre à l’auteur. Mandarino dit aujourd’hui que Paulo Coelho serait parti de son propre chef, ce que l’int&eacut!

! e;ressé conteste avec vigueur, rappelant qu’il était alors sous contrat.

N’importe, revoilà donc L’Alchimiste sur le marché. Paulo Coelho se lance de nouveau à l’assaut des maisons d’édition, « frappe à toutes les portes » et rencontre Paulo Roco, un gros éditeur qui accepte l’ouvrage et rachète les phototypes pour la somme de 500 dollars… « Je ne sais toujours pas pourquoi il a accepté ce manuscrit et lui non plus, confie Paulo Coelho, l’air discrètement ému. Il dit que c’est un mystère. » Là commence à se forger le halo vaguement surnaturel qui est censé accompagner l’avènement de Paulo Coelho, faisant de son histoire beaucoup plus qu’une simple (et vulgaire) « success story » : une légende. L’auteur, qui a tendance à voir des coïncidences troublantes un peu partout, n’a sans doute pas peu contribu&eacut!

! e; à son élaboration.

Paru pour la deuxième fois au Brésil en 1991, L’Alchimiste remporte rapidement un succès considérable. Le livre est ensuite publié en Espagne, où il se vend rondement, mais les éditeurs français font la sourde oreille. Certains le refusent par choix éditorial, c’est le cas d’Anne-Marie Métailié. D’autres le laissent passer par négligence, et ceux-là doivent avoir pleuré des larmes amères. Dans une maison parisienne honorablement connue, on a retrouvé la lettre de l’agent de Coelho perdue sous une pile de livres, plusieurs mois après la parution de L’Alchimiste en France. « Ce courrier aurait dû nous mettre la puce à l’oreille, reconnaît une éditrice, il parlait de millions d’exemplaires vendus au Brésil. Mais personne ne parle le portugais chez nous, on a laissé traîner. » Ailleurs, toujours f! ! aute de lecteur portugais, le roman est confié à une jeune secrétaire d’origine portugaise, qui remet un rapport défavorable.
Anne Carrière, l’éditeur en France de toute l’oeuvre de Coelho, n’a pas laissé traîner. Mieux : elle a déployé toute la force de conviction dont elle était capable. Il faut dire que sa situation était cruciale. Fille de l’éditeur Robert Laffont, elle avait quitté la maison de son père en 1991, au moment où celle-ci était rachetée par le Groupe de la Cité. Début 1993, elle décide de créer sa propre maison avec son mari. « La première personne que j’ai appelée pour savoir si elle acceptait de devenir actionnaire était une de mes cousines, qui vivait à Barcelone. Vers avril, c’est elle qui m’a contactée pour me dire qu’elle avait découvert un livre magique d’un auteur nommé Paulo Coelho », se souvient Anne Carrière.

Mais l’éditrice ne lit pas le portugais, non plus que l’espagnol. Heureusement, un retraité américain vient de traduire bénévolement l’ouvrage, dont il est tombé amoureux. Le livre sort en mars 1994, avec une mise en place de 3 000 exemplaires. Et là, miracle, la sauce prend. L’éditrice fait venir Paulo Coelho, puis l’enjoint de rentrer chez lui pour apprendre le français. Ce qu’il fait auprès d’une Japonaise, avant de revenir pour une deuxième tournée de promotion systématique dans 25 villes françaises. « Le succès a été extraordinaire, souligne Anne Carrière. Nous avons vu le flot de lecteurs grossir de jour en jour. Sur les 25 millions d’exemplaires de ses livres vendus dans le monde, 5 l’ont été en France. » Pas ingrat, le romancier reste très attaché &agra!

 

! ve; ce pays et à son éditrice, qu’il fait vivre en partie.

R. R.

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