La passion selon Coelho Par Lenoir Frédéric, publié le 12/03/1998

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Ecrire était son rêve d’enfant. Depuis le succès de L’Alchimiste, il est comblé, même si la critique le boude. La Cinquième Montagne, qui sort ces jours-ci en France, reprend le thème de la «légende personnelle». Rencontre avec la star la plus contestée des lettres brésiliennes

«Superbes contes initiatiques», pour les uns; «sous-produits d’une sous- culture», pour les autres, les ouvrages de Paulo Coelho suscitent les réactions les plus contrastées. Mais quelle que soit l’opinion que l’on porte sur l’auteur de L’Alchimiste, force est de constater qu’il est devenu un phénomène de société. Né à Rio de Janeiro en 1947, l’homme voyage beaucoup et touche un peu à tout, avant de se consacrer à son véritable rêve: l’écriture. En trois livres et moins d’une décennie, l’ancien directeur artistique de CBS est devenu une star au Brésil, et sa notoriété ne cesse de s’étendre partout dans le monde. Publiés aujourd’hui dans 45 pays et traduits en 26 langues, ses livres caracolent en tête des listes des meilleures ventes dans des aires culturelles aussi différentes que les pays de l’Est, Israël ou les pays latins. Mais c’est peut-être en France que l’engouement est le plus étonnant. Vendu à deux millions d’exemplaires, L’Alchimiste a battu le record de longévité dans les palmarès, avec plus d’une centaine de semaines de présence. Son nouvel ouvrage, une allégorie d’inspiration biblique sur le sens des épreuves de l’existence, sort cette semaine en librairie. Invité à rencontrer les principaux décideurs internationaux au séminaire de Davos, Paulo Coelho nous a reçus à Zurich pour faire le point sur sa jeune carrière d’écrivain.

L’EXPRESS: En l’espace de quelques années, vous êtes devenu l’un des quinze écrivains les plus connus de la planète. A l’image du jeune héros de votre roman L’Alchimiste, avez-vous réalisé votre «légende personnelle» et vécu votre rêve d’enfant?

PAULO COELHO: Quel peintre ne rêve pas de voir ses tableaux exposés? Quel écrivain ne souhaite pas avoir des lecteurs? Je ne vais donc pas vous dire que je suis malheureux parce que je suis lu par des millions de lecteurs à travers le monde! C’est vrai que, depuis l’enfance, je rêve d’être écrivain. Cela ne fut pas sans obstacles ni découragements, et il m’aura fallu croire jusqu’au bout en mon rêve.

-C’est-à-dire?

Lorsque, en 1988, j’ai publié L’Alchimiste au Brésil, au bout d’un an, 900 exemplaires seulement avaient été vendus! Pourtant, c’était un ouvrage auquel je croyais profondément. J’ai refusé de céder au découragement et d’enterrer mon rêve d’écriture. Je suis retourné voir l’éditeur pour récupérer les droits et j’ai repris mon bâton de pèlerin en quête d’un autre éditeur. J’ai fini par en trouver un qui a accepté de donner au livre une seconde chance. Avant de signer, je lui ai juste précisé que je voulais conserver les droits mondiaux. Il s’est sûrement dit: «Celui-là, c’est un mégalomane!», et il a accepté, pensant qu’il aurait déjà du mal à vendre le livre au Brésil. Quand celui-ci est sorti, il n’y a eu aucun article de presse. Aucun. Et puis, peu à peu, par le bouche-à-oreille, il a commencé à se vendre. Trois ans après, il s’est retrouvé en tête des classements, et vous connaissez la suite.

-Pourquoi écrivez-vous?

Pour partager. J’aime faire partager mon expérience, ma vie, mes convictions, mes doutes. Sûrement, aussi, pour me comprendre moi-même. A travers chacun de mes livres, j’essaie de visiter une partie de moi. Lorsque j’ai voulu analyser ma quête personnelle, j’ai écrit L’Alchimiste. Lorsque j’ai voulu explorer la part de féminin qui est en moi, j’ai rédigé Sur le bord de la rivière Piedra… Actuellement, je pense aborder le sujet de la folie pour tenter de comprendre ma propre folie!

-Quel est le thème de La Cinquième Montagne, qui sort ces jours-ci en France?

J’ai repris le thème central de L’Alchimiste, celui de la légende personnelle, de ce qui nous donne l’enthousiasme de vivre. Mais, partant une fois encore de ma propre expérience, je me suis concentré ici sur les épreuves qui surviennent dans notre existence et qu’on pense ne pas mériter. Pourquoi sommes-nous touchés par la tragédie? Pour illustrer ce thème, je me suis inspiré de l’histoire du prophète Elie, qui a vécu au IXe siècle avant Jésus-Christ, et de la civilisation phénicienne, qui lui est contemporaine.

-Pourquoi choisissez-vous la forme du récit ou du conte?

Je n’ai rien contre les essais, j’en lis beaucoup, mais je trouve que c’est toujours un peu ennuyeux. Je préfère les récits. En racontant une histoire qui s’inspire, bien évidemment, de ma propre expérience et de ma perception de la vie, je peux amener le lecteur à réfléchir tout autant qu’à travers un essai. Mais je ne parle pas qu’à son cerveau. Je m’adresse aussi à son coeur et à sa sensibilité.

-On peut toutefois vous reprocher d’écrire de manière un peu simpliste…

Beaucoup d’écrivains ont peur de la simplicité. On préfère écrire un livre très compliqué plutôt qu’un simple, parce que, si personne ne nous comprend, on est sûr de passer pour un génie ou quelqu’un de très subtil. Etre simple ne signifie pas être superficiel. Les choses les plus belles et les plus profondes sont aussi les plus immédiates. Je crois que la simplicité est le chemin le plus direct pour parler à l’âme. Au fond, je m’efforce d’écrire avec mon âme d’enfant des histoires qu’un enfant aimerait lire.

-En France, votre oeuvre suscite des réactions très contrastées. Le public vous a plébiscité, mais la majorité des critiques déteste vos livres…

J’adore cette hostilité de la critique. Rien n’est plus formidable que de provoquer l’enthousiasme du public et de déchaîner les foudres des critiques. C’est la vraie gloire! Je serais malheureux si on ne parlait pas de mon oeuvre ou si on en parlait de manière tiède. Pour un Brésilien, il n’y a que la passion qui compte!

-Comme celle qu’ont tous vos compatriotes pour le football… Allez-vous assister au Mondial en France?

Je vais venir commenter l’événement pour un journal brésilien. La France est mon second pays. Toute ma formation intellectuelle a été marquée par la culture française, qui est l’une des plus universelles qui soient. Je serai donc très heureux de venir en France… et j’aurai certainement aussi un peu de peine pour elle quand elle se fera battre en finale par le Brésil!
La Cinquième Montagne, par Paulo Coelho. Trad. par Françoise Marchand-Sauvagnargues. Anne Carrière, 324 p., 110 F.

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